La crise scelle le désamour entre banques et opinion

Publié le par SES - Lycée Denis-Diderot - NAIROBI, Kénya

La taxe sur les bonus est une bonne chose. Mais elle ne suffira pas à mettre fin aux excès. Alors que les bonus géants font leur retour dans les grandes banques, et que les projets de taxation des primes versées aux traders se multiplient, de part et d'autre de l'Atlantique, l'IFOP a réalisé, en exclusivité pour Le Monde, une enquête d'opinion "sur le regard croisé des Français et des Britanniques sur le secteur bancaire".

Les résultats de ce sondage effectué du 6 au 8 janvier en France et du 8 au 12 janvier en Grande-Bretagne sont tranchés : les Français, à 83 %, et les Britanniques, à 81 %, approuvent la taxe sur les bonus des salariés du secteur financier, mise en place dans leurs deux pays. Ils estiment cependant, à 75 % pour les Français, et à 73 % pour les Britanniques, que cette taxe "ne sera pas efficace, car les banques mettront en place d'autres systèmes pour rémunérer leurs traders et financiers".

S'exprimant plus globalement sur la gestion de la crise, les Français (67 %), comme les Britanniques (70 %), estiment que le gouvernement "a eu raison" d'intervenir pour soutenir le secteur bancaire. Mais ils pensent, à une très large majorité (80 % des Français et 73 % des Britanniques), que les banquiers n'ont pas tiré les leçons de la crise et conservent des comportements risqués.

La défiance envers le système bancaire est générale, de part et d'autre de la Manche. Les populations interrogées estiment que les banques n'accordent pas suffisamment de crédits à l'économie (73 % des Français et 52 % des Britanniques), en dépit des injonctions politiques. Elles avouent une confiance limitée dans la solidité des banques (seuls 31 % des Britanniques et 40 % des Français les jugent solides), un sentiment qui peut surprendre en France, où le secteur bancaire a mieux résisté.

Alors que la crise financière commencée en 2007 est à peine achevée, 83 % des Français et 71 % des Britanniques considèrent qu'une nouvelle crise économique et financière pourrait se produire "dans les prochaines années".

Pour Jérôme Fourquet, directeur adjoint du département opinion et stratégies d'entreprise de l'IFOP, le message véhiculé par ce sondage est d'abord politique: "Il y a un satisfecit adressé aux gouvernements, pour les initiatives prises pendant la crise afin d'éviter l'effondrement des systèmes bancaires, analyse-t-il. Pour autant, l'action politique a ses limites. L'opinion publique anticipe des stratégies de contournement de la part des banques. Dans les deux pays domine le sentiment qu'une crise systémique peut se reproduire à tout moment. Au fond, c'est l'idée qu'on prend les mêmes et on recommence…"

Ce message est d'autant plus fort, qu'il est exprimé "massivement", et dans les mêmes termes, par les Français et les Britanniques. Ce consensus n'allait pas de soi, dans deux pays à la culture économique très différente, où, de surcroît, la crise n'a pas eu la même intensité. Au Royaume-Uni, l'Etat a sauvé les banques de la faillite. En France, l'argent public a servi, pour l'essentiel, à maintenir l'offre de crédits bancaires aux ménages et aux entreprises.

De plus, ce "regard croisé sur le secteur bancaire" transcende les clivages sociaux et politiques. L'opinion exprimée par l'ouvrier est la même que celle du commerçant, du cadre supérieur ou du retraité. Les sympathies politiques n'entraînent pas de réponses différentes. "C'est l'opinion de l'homme de la rue qui s'exprime, dit M. Fourquet.

"IL Y A EU TROP D'ABUS"

Ainsi, le premier ministre britannique Gordon Brown et le président Nicolas Sarkozy se voient confortés dans leur démarche pour réguler la finance ou tenter de le faire. "Si les gouvernements souhaitent aller plus loin dans l'adoption de mesures symboliques, ou coercitives, ils savent qu'ils peuvent s'appuyer sur l'opinion publique", conclut M. Fourquet. Le sondage de l'Ifop délivre un autre message, à l'attention des banques. Leur image sort très dégradée de cette crise financière, dont l'opinion les tient responsables. Ce divorce banques-citoyens est renforcé par le sentiment que le pacte tacite les liant à l'Etat – de la modération en contrepartie des aides publiques – n'est pas respecté.

Pour l'historien Jacques Marseille, la crise renforce le désamour ancien entre les Français et les banques. "C'est un phénomène historique de longue durée, commente M. Marseille, les Français n'ont jamais aimé les banques. Ce fut vrai au XIXe siècle du temps des Rothschild, ou lors de la faillite de l'Union générale [une banque catholique, qui fit faillite en 1882], puis pendant la crise des années 1930… Il y a eu trop d'abus. Aux yeux de l'opinion, les dérives des banques sont aussi graves que les dégâts écologiques."

LE MONDE | 19.01.10 | 12h54  •  Mis à jour le 19.01.10

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